Bible dans une main et bâton de marche dans l’autre, le pasteur Stephen Lenku Tipatet traverse quotidiennement les plaines kenyanes du comté de Kajiado, afin de lutter contre l’excision des femmes en partageant l’Evangile.
La région dans laquelle le pasteur évangélise est celle de la patrie des Maasai, une communauté autochtone au sud du Kenya et au nord de la Tanzanie. Cette même communauté a résisté aux courants de modernisation et aux influences occidentales et s’accroche encore aujourd’hui à certaines coutumes traditionnelles, dont la pratique de la mutilation génitale féminine. Lundi 6 février, journée internationale de lutte contre l’excision, le pasteur Tipatet s’est rendu dans un centre d’aide aux femmes avec quatre autres pasteurs, visite qui leur a permis de partager l’Evangile à cinq d’entre elles, hébergées par le centre. Pasteur de l’Eglise Presbytérienne Missionnaire, Stephen Tipatt, accompagné d’autres hommes de Dieu, se rend souvent dans ces endroits tenus secrets, où les jeunes filles peuvent trouver refuge lorsqu’elles fuient leur foyer pour éviter l’excision.
Elles ont été secourues durant les dernières vacances scolaires, a-t-il déclaré. Nous leurs avons dit qu’elles avaient encore un avenir devant elles et qu’elles devaient rester focalisées sur leurs rêves.
Pratiquée sans anesthésie, ce rite, symbole du passage à l’âge adulte d’un jeune fille, consiste à retirer le clitoris ou les lèvres du sexe féminin avec des accessoires souvent sommaires et non désinfectés (couteaux, rasoirs ou ciseaux). Le Kenya a interdit cette pratique en 2011, ce qui ne l’empêche pas d’être toujours exécutée dans le secret. L’excision est menée par des communautés musulmanes et chrétiennes, bien que son origine soit antérieure aux deux confessions. Encore aujourd’hui, l’Organisation Mondiale de la Santé estime que plus de 200 millions de femmes dans le monde en ont été victimes.
Parallèlement aux actions du gouvernement, plusieurs églises ont mis en place des campagnes massives contre la pratique, en établissant notamment des centres d’aide pour les fugueuses ayant refusé l’excision, souvent rejetées par leurs familles.
Joyce Mila, étudiante-infirmière à Nakuru (ville à l’ouest de la capitale Nairobi), raconte sa douloureuse expérience :
Je pense qu’ils ont estimé que c’était le bon moment pour effectuer cette pratique sur moi. Quand ils ont essayé de m’y forcer, j’en ai parlé à mes professeurs et j’ai fui, pour finalement me retrouver dans un centre où j’ai terminé mon lycée.
Comme beaucoup d’autres filles, Mila a été rejetée par son père pour ne pas s’être pliée à la coutume. Mais son point de vue est clair sur la question de l’excision : elle doit être éliminée car elle n’ajoute aucune valeur à la vie des femmes, contrairement à ce que pensent de nombreux membres de son ethnie. Bien heureusement, la jeune femme a expliqué s’être depuis réconciliée avec sa famille, avec l’aide du centre et des pasteurs.
Quand je rentre à la maison, il y en a qui se moquent de moi car ils savent que j’ai rejeté la pratique. Mais il y a aussi ceux qui me souhaitent la bienvenue. Je fais abstraction des railleries parce que je suis certaine d’avoir fait le bon choix
À Maasailande, beaucoup considèrent l’excision et le mariage précoce comme des pratiques traditionnelles importantes. Il y a à peine trois ans, une réunion pro-excision avait attiré près d’un milliers de femmes. En travaillant avec plus de 300 pasteurs dans le cadre de l’Association des pasteurs de l’Est de Kajiado, le pasteur Tipatet a déclaré que le groupe essayait d’avertir les différentes communautés ethniques sur ses dangers.
Nous leur expliquons que nous sommes contre la circoncision des filles et que ce n’est pas biblique.
Une lutte non sans difficultés, tant la pratique est ancrée dans les moeurs. Certaines familles n’ont pas hésité à combattre les pasteurs, en menaçant de maudire tous ceux qui perturberaient leurs cérémonies ou les contesteraient.
Certains militants locaux et chefs traditionnels ont été refroidis, mais pas l’église, a déclaré le pasteur. Nous faisons des progrès, mais certaines zones sont encore difficiles d’atteindre.
Le centre d’aide de Tasaru près de la ville de Narok sert d’intermédiaire entre les familles et les jeunes femmes, avec l’aide de l’église. Réunis pour une même cause, ils accompagnent et conseillent les jeunes filles tout en les aidant à continuer leurs études. Récemment, les actions de sensibilisation se sont multipliées pour informer les parents sur les dangers de l’excision et répondre aux questions des femmes sur le mariage, la vie familiale, la santé et la sexualité.